Interview avec Laure Kuntz : Le dia-bête de ma vie, une BD pour comprendre le diabète de type 1

laure kuntz

Interview avec Laure Kuntz : Le dia-bête de ma vie, une BD pour comprendre le diabète de type 1

À l’occasion de la sortie de sa bande dessinée Le dia-bête de ma vie, chez Perles Editions (disponible chez Decitre à partir du 14 novembre 2024), l’autrice et scénariste de BD, elle-même diabétique de type 1 depuis plus de 20 ans, Laure Kuntz, nous a fait le plaisir de répondre à nos questions. Dans cet ouvrage préfacé par le Professeur Michel Pinget du CEED de Strasbourg, elle raconte avec humour et sarcasme les défis quotidiens d’une vie avec le diabète à travers le personnage de Lola. Laure partage avec nous ses inspirations, son vécu, et l’importance de sensibiliser autour des préjugés sur cette maladie invisible, invitant le lecteur à comprendre les contraintes mais aussi les victoires de ceux qui cohabitent avec ce “dia-bête”.

Le dia-bête de ma vie

Pouvez-vous nous parler de l’inspiration derrière Le dia-bête de ma vie

Je suis diabétique de type 1 depuis 23 ans.

La méconnaissance générale des impacts de la maladie provoque des remarques très lourdes à entendre au quotidien.

En intégrant des groupes de paroles sur les réseaux sociaux, j’ai réalisé que ce sentiment est très généralement répandu.

Scénariste de bandes dessinées, j’ai écrit sur de nombreux sujets et j’ai eu envie d’utiliser ce support, ludique, pour cette fois transmettre des informations qui me concernent personnellement.

De nombreux  livres existent déjà pour s’informer sur la pathologie, ses mécanismes et ses effets. La bande dessinée a cet avantage que lire est divertissant. Il ne s’agit pas de se plonger dans un ouvrage pointu, mais de s’amuser en lisant et d’apprendre beaucoup de choses sans faire d’effort.

Le personnage de Lola semble traverser de nombreux défis en apprenant à vivre avec son “dia-bête”. Comment ce personnage reflète-t-il votre propre expérience du diabète de type 1 ?

Il y a beaucoup de passages auto biographiques. Mais pas tous ! Je ne me suis jamais confrontée au triathlon !

Mais la découverte de la maladie est basée sur mon vécu, qui est celui de beaucoup de malades qui se reconnaitront dans ce vécu de soif exagérée inexplicable.

Les propos de l’interne qui refuse de laisser Lola sortir de l’hôpital sont réels. C’était il y a 23 ans, mais je me souviens des mots comme si je les avais entendus hier ! Mes enfants avaient 2 et 6 ans à l’époque, et quand on doit sortir de l’hôpital pour retrouver ses enfants, on n’oublie pas des mots pareils !

L’anecdote du chien qui se place devant la porte et empêche Lola de sortir a réellement eu lieu. Petite pensée pour mon golden qui s’appelait Rajah, et avait ressenti que quelque chose n’allait pas, sans jamais avoir été éduqué pour ça.

L’envie de croquer la vie qui va de pair avec l’acceptation, la résignation, font aussi partie de mon parcours.

A chaque lecteur de deviner : ce qui est tiré de ma propre vie ou d’anecdotes relatées par d’autres malades !

Le dia-bête de ma vie (verso)

Pourquoi avez-vous choisi ce ton humoristique pour traiter un sujet aussi sérieux ?

Mon objectif en écrivant des scénarios de bandes dessinées, est que le lecteur passe un moment divertissant, agréable, pimenté de rires et de légèreté.

Je veux qu’un lecteur qui plonge dans la lecture n’ait pas envie de s’en extraire, et qu’il ressorte de l’album tout étonné d’avoir appris tant d’informations sans faire le moindre effort.

J’ai donc choisi d’utiliser ce ton-là. Si je devais personnifier cette maladie qui m’accompagne jour et nuit, c’est ainsi que je l’imagine : ricanant de ses surprises inattendues : les hypos en pleine séance de sport, les taux qui interdisent de prendre la moto immédiatement… Je ne l’imagine pas comme un être méchant mais bien comme un « sale gosse » qui joue à en faire voir de toutes les couleurs.

 

Le diabète est souvent entouré de nombreuses idées reçues. Quels sont les préjugés ou malentendus que vous espérez casser à travers cette BD ?

C’est un des principaux objectifs de l’album : casser les préjugés, et ils sont nombreux ! Je vais tenter de dresser une liste, non exhaustive des idées que je voudrais chasser :

–              T’es diabétique, c’est rien, c’est pas vraiment une maladie, il faut juste surveiller le sucre que tu manges et voilà !

–              Il suffit de faire attention à son hygiène de vie pour ne pas risquer que ça arrive

–              Ah ben, elle est en surpoids, elle l’a cherché !

–              Oui enfin, le diabète, c’est juste une bonne excuse pour ne pas faire ce qu’elle n’a pas envie de faire, on se secoue un peu, et on peut sortir malgré une hypo !

–              Oui enfin, t’es en hypo (ou en hyper), c’est tous les jours que ça arrive, c’est comme d’habitude !

–              Si tu faisais attention tu serais équilibrée…

Et j’ai été choquée d’entendre une maman de jeune diabétique qui racontait que son fils n’a pas pu partir en voyage scolaire en Italie avec sa classe à cause de son diabète !

 

La préface de votre BD est signée par le Professeur Michel Pinget, une figure clé dans la recherche sur le diabète. Comment cette collaboration est-elle née, et qu’apporte-t-elle à votre ouvrage ?

Quand l’idée d’écrire cette BD est née, je n’envisageais pas de publier cet album sans avoir un regard professionnel sur le scénario : le sujet n’est pas la maladie, mais la VIE avec la maladie. Pour autant, il est impossible de ne pas flirter avec le médical (réagir à une hypo, une hyper, les symptômes etc) Or je ne suis pas professionnel de santé, il était inconcevable pour moi de ne pas avoir un regard professionnel pour m’assurer que tous les renseignements à tendance médicale soient rigoureusement justes.

Mon médecin traitant, Docteur Schmitt m’a fait le cadeau d’une première lecture et j’ai contacté le professeur Pinget, comme vous le dites, « figure clé de la recherche sur le diabète ». Je lui ai exposé mon projet, mon objectif. Il a été enthousiaste, m’a offert une aide précieuse, a relu et critiqué mon scénario avec beaucoup d’attention.

Je le remercie infiniment, car il permet au lecteur d’avoir confiance dans les renseignements communiqués.

 

Le personnage de la “dia-bête” semble jouer un rôle central et symbolique. Comment avez-vous conceptualisé cette entité, et que représente-t-elle pour vous ?

Je voulais un album vivant, rythmé, drôle.

J’ai souvent entendu, quand on parle de la maladie, des mots qui la personnifient « il a été sage ton diabète ce mois-ci ? »

Alors j’ai personnifié la maladie dans cet album, avec la personnalité que j’imagine. Un petit diablotin qui joue à faire des facéties, qui se débrouille pour être au centre de toutes nos pensées, qui est sage un moment, avant de faire une nouvelle surprise. Je trouvais important qu’il ait ce caractère imprévisible et sarcastique.

 

Dans votre BD, vous abordez des sujets tels que la charge mentale et la peur de l’hypoglycémie. En tant que personne diabétique de type 1, comment ces aspects ont-ils façonné votre quotidien ?

Ce sont pour moi les caractéristiques principales de la maladie dans le quotidien. Y penser toujours, contrôler toujours, rien ne peut être envisagé sans penser à lui (ou elle). La peur de l’hypo est à mon sens la principale difficulté : on ne peut partir marcher en forêt sans avoir du sucre sur soi. Idem pour prendre le volant, inconcevable si on risque une hypo qui peut provoquer des accidents immédiats. Cette sensation de faiblesse extrême est absolument détestable. Et le souci est que le fonctionnement de la maladie n’est pas toujours logique, les hypos peuvent survenir contre toute attente. D’où le caractère sarcastique, moqueur de la Dia-Bête dans l’album.

 

Votre BD est non seulement destinée aux personnes diabétiques, mais aussi à leur entourage. Quel message souhaitez-vous transmettre à ceux qui accompagnent un proche atteint de diabète ?

Il y 2 messages : le premier, est qu’on peut vivre tout à fait normalement. On ne veut pas être regardés comme des bêtes curieuses lorsqu’on se permet un plaisir gustatif. Il ne s’agit pas d’être au régime à vie mais d’avoir une vie saine, comme tout le monde, en fait !

Le second, c’est que comme toutes les pathologies invisibles, on a besoin d’être écoutés, crus. Si je me sens faible, ce n’est pas une excuse, c’est que je dois vraiment me reposer un instant. Si je ne prends pas le volant, idem, c’est déjà assez dur à vivre sans être en plus culpabilisé et soupçonné de se défausser grâce à une excuse.

Chaque diabétique vit son diabète différemment, chaque Dia-Bête a son caractère.

 

Comment avez-vous travaillé avec Yann Sougey-Fils pour donner vie visuellement à votre histoire ? Quels aspects du dessin étaient particulièrement importants pour vous ?

Yann et moi avons déjà collaboré sur plusieurs albums. Il est primordial, pour qu’une bande dessinée soit réussie, que scénariste et illustrateur travaillent en confiance et en harmonie, et nous avons la chance de former un binôme qui fonctionne pas mal !

La création de la Dia-Bête était un moment important : je lui ai longuement parlé de ce que j’avais en tête, et je lui ai fait confiance sur le visuel qu’il a imaginé et qui correspond parfaitement au personnage facétieux que j’avais en tête.

La couleur a également toute son importance sur cet album : le dessin était particulièrement important pour créer l’ambiance et l’émotion. La couleur crée une ambiance sombre dans les moments de rejet de la maladie, de colère et au contraire, elle fait éclater les moments où Lola décide d’accepter et de croquer la vie.

Cet album est le fruit d’un travail d’équipe, toutes les idées des uns et des autres ont été entendues, et l’harmonie a permis ce résultat. Éditeur, scénariste, dessinateur, coloriste et cabinet d’infographie, chacun y a mis sa petite étincelle !

 

Enfin, quel est le message clé que vous espérez que les lecteurs retiendront après avoir lu Le dia-bête de ma vie ?

J’aimerais que les lecteurs qui ne sont pas diabétiques comprennent les difficultés invisibles et quotidiennes qu’affrontent les malades. Compter les glucides sur un repas, ça va, mais sur tous les repas, tous les jours de sa vie, sans espoir de guérir … c’est autre chose !

J’aimerais que les proches y trouvent de quoi soutenir la personne atteinte : l’intérêt de la BD est qu’elle parle de la vie avec la maladie, mais sans l’émotion qui biaise un échange entre proches. C’est un discours neutre.

Pour la petite histoire, alors que je suis diabétique depuis 23 ans, c’est après avoir lu l’album que mon mari a mis une alarme sur son téléphone pour que je n’oublie plus jamais de m’injecter ma dose aux heures des repas.

J’aimerais que des personnes récemment diagnostiquées y trouvent des encouragements pour surmonter les difficultés, que les jeunes notamment soient persuadés que tout rêve reste possible (nous avons tous en tête des noms de grands sportifs diabétiques de type 1 !)

Pour résumer en 1 phrase, mon message principal serait : Le diabète complique tout, mais n’empêche rien, surtout pas de croquer la vie !

En conclusion, Le dia-bête de ma vie est bien plus qu’une bande dessinée. Laure Kuntz y partage des morceaux de sa vie avec sincérité et humour, permettant aux lecteurs de voir au-delà des stéréotypes associés au diabète. Cette œuvre invite non seulement les personnes concernées par la maladie mais aussi leurs proches à mieux comprendre et à soutenir ceux qui vivent avec cette réalité complexe. Pour Laure, le message est clair : « Le diabète complique tout, mais n’empêche rien, surtout pas de croquer la vie ! »

Laure Kuntz, Le Dia-Bête de ma Vie, Perles Editions, 52 pages.
Parution le 14 novembre 2024 pour la Journée Mondiale du Diabète 2024-2026.
Disponible chez Decitre.

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